Au royaume de Maladire

 

Je ne fus pas plus tôt arrivé au poste frontière que l’on me réclama mes papiers.

« Quels papiers ? m'exclamai-je, intrigué.

— Les papiers obligatoires pour pénétrer à Maladire, me répliqua-t-on comme si c'était une évidence : carte d'identité médicale, carnet de santé, certificats de vaccination.

— Mais je n'ai rien de tout cela ! Je ne sais même pas de quoi il s'agit !

— Vous êtes malade au moins ?

— Mais pas le moins du monde !

— Alors qu'est-ce qui vous amène ici ?

— La curiosité ! J’ai entrepris un grand voyage à la découverte des pays civilisés. Après Productivie et Agroquimie, je me suis rendu à Technoland où l’on m’a conseillé de venir ici.

— En ce cas, il vous faut obtenir des papiers en règle. Sans eux, vous ne pourrez jamais pénétrer sur notre territoire. Vous allez devoir être mis en quarantaine le temps de passer des examens de toutes sortes et recevoir toutes les vaccinations obligatoires.

— Mais pourquoi me mettre en quarantaine puisque je ne suis pas malade ?

— Justement, votre bonne santé pourrait être contagieuse. Nous ne pouvons nous permettre de prendre un tel risque ! L'économie de Maladire s'effondrerait s'il y avait trop de gens bien portants. »

 

Quoique déconcertants, ces propos aiguisèrent ma curiosité et me confortèrent dans mon envie de passer quelque temps à Maladire. J'acceptai de me soumettre aux formalités médicales préalables à mon entrée dans le pays. Je fus conduit dans un bâtiment voisin dans lequel on établit un bilan de ma santé. Celui-ci ne prit pas moins d'une semaine au cours de laquelle je fus soumis à toutes sortes d'examens : analyses de mon sang, de mes urines, de ma salive, de mes larmes, de ma transpiration ; auscultation de mes narines, de ma bouche, de mes yeux, de mes oreilles ; observation de ma langue, de mes dents, de la couleur et de l’aspect de ma peau ; contrôle de mon poids, de ma taille, de mon volume et de ma surface ; tests de mes muscles et de mes réflexes ; mesure de la tension de mes artères, des battements de mon cœur, du rythme de ma respiration. Lorsque, à la fin de la semaine suivante, les résultats furent enfin connus, je fus reçu par le médecin en charge de mes examens. Devant la perplexité que reflétait son visage, je fus gagné par la plus vive inquiétude : il semblait hésiter à m’avouer la vérité. Il appela un confrère qui examina mon dossier à son tour. Même gêne, même embarras. Les deux hommes appelèrent alors un troisième confrère. Bientôt, tous les médecins du poste frontière furent réunis. Mon inquiétude était à son comble :

« N'hésitez surtout pas à me dire la vérité, docteur ! Est-ce grave ?

— Disons plutôt que c’est incroyable ! Depuis trente ans que j'exerce à Maladire, je n'avais encore jamais vu ça : pas le moindre symptôme, ni le plus petit dérèglement : vous semblez en parfaite santé !

— Ah ! vous me rassurez ! Alors, je vais pouvoir entrer à Maladire ?

— Oh ! oh ! pas si vite ! Ce serait criminel de vous laisser côtoyer des gens malades sans vous protéger de leurs maladies. Vous allez devoir vous soumettre à une série de vaccins obligatoires. »

 


 

C'est ainsi que je fus vacciné contre toutes sortes de bactéries, de microbes et de virus risquant d’affecter - entre autres - mon foie, mon estomac, mes poumons, mes reins, mon cerveau, mes nerfs ou ma peau.

Je fus tant et tant piqué que la partie charnue de mon anatomie prit l'allure d'une peau d'orange. Une fièvre de cheval manqua de m'emporter. On m'envoya en urgence dans un hôpital où toutes sortes de spécialistes vinrent étudier mon cas. Celui du cœur prétendit que cet organe était gravement atteint alors que celui de l’estomac diagnostiqua un mauvais fonctionnement de mon système digestif. Tandis que tous deux se disputaient sur la nature de mon mal, un spécialiste des poumons fit irruption, m’ausculta et conclut que mon état était dû à une infection de ceux-ci. Le différend ne fit qu’envenimer lorsqu’un spécialiste du cerveau et des nerfs eut affirmé que je ne devais mon trouble qu’à une défaillance de mon système nerveux. Je reçus également la visite d’un spécialiste du bras droit, suivie de celle d’un spécialiste du bras gauche. Comme chacun d’eux prétendait que l’origine du mal était de son côté et qu’ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord, ils firent appel à d’autres confrères pour les départager. Je fus ainsi ausculté par des spécialistes de la main, du poignet, des avant-bras, des coudes, des bras et des épaules. Tous se querellèrent au point d’en venir aux mains. Chaque spécialiste ayant rédigé sa propre ordonnance, on m’administra quantité de remèdes qui firent tomber ma fièvre, certes, mais détraquèrent mes intestins. Mon état de faiblesse devint tel que mes poumons furent infectés par les microbes que me transmit mon voisin de chambre. Je crus que j’allais mourir. Comme mon état de santé ne s'améliorait toujours pas après qu'on eut changé dix fois mes traitements, il me vint à l'idée de cesser de prendre mes remèdes. Je pris soin de vider les contenants de leur contenu avant qu'ils ne me soient administrés. Le résultat fut immédiat : mon état s'améliora de jour en jour, si bien que je fus très vite rétabli. Les médecins n’en revinrent pas d’une guérison aussi rapide et louèrent l’efficacité des traitements qu’ils m’avaient prescrits. On s’empressa de me mettre dehors afin de récupérer ma chambre pour l’attribuer à un autre malade qui attendait depuis plusieurs semaines. Comme la période de quarante jours était achevée et que mes papiers médicaux étaient désormais en règle, on me laissa libre d'entrer au pays de Maladire, non sans m’avoir remis une ordonnance de quatre pages destinée à parachever mon rétablissement.

 

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